La fiscalité des crypto-actifs en 2019

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Aujourd’hui nous refaisons un point, un an après le précédent, sur la fiscalité des crypto-actifs.




Beaucoup de choses ont changées cette année, je vous présente donc le rapport de l’Association Française pour la Gestion des Cybermonnaies (AFGC) rédigé par Marianne Tordeux et Benoît Couty, Avocats fiscalistes et co-responsables de la Commission Fiscalité de l’AFGC.

Fiscalité des crypto-actifs en 2019

Le législateur a posé les fondations d’un vaste chantier

A la suite de plusieurs mois de discussion avec les acteurs de l’écosystème français des actifs numériques (ou  » crypto-actifs « ) et des technologies de registres distribués (communément appelées  » blockchain « ), la Loi de finances pour 2019 a introduit dans le Code général des impôts un régime fiscal spécifique et très novateur applicable aux cessions occasionnelles d’actifs numériques.
 
La notion d’actifs numériques est d’ailleurs désormais définie par la loi, et comprend :
 
  • Les jetons, à savoir tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits, pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien, à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers et des bons de caisse ;
  • Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachées à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement.
En pratique, le nouveau régime d’imposition des cessions occasionnelles d’actifs numériques, applicable aux opération réalisées à compter du 1er janvier 2019, consiste à n’imposer que les plus-values de cession d’actifs numériques lorsque ces derniers sont cédés ou échangés contre des monnaies ayant cours légal (ou  » monnaies fiat « ) ou contre des biens ou services.
 
En d’autres termes, les échanges d’actifs numériques sans soulte en monnaie fiat ne sont pas un fait générateur d’impôt.
 
En outre, ces plus-values sont désormais soumises à un taux d’imposition global de 30 % (incluant l’impôt sur le revenu au taux de 12,8 % et les prélèvements sociaux au taux de 17,2 %) après application d’un abattement annuel de 305 euros, auquel il convient d’ajouter, le cas échéant, la contribution exceptionelle sur les hauts revenus aux taux de 3 à 4 %1
 
S’il peut être amélioré et complété sur de nombreux points que nous détaillons ci-après, ce dispositif représente tout de même une avancée considérable par rapport à la situation antérieure.
 
En effet, les plus-values d’échange entre actifs numériques étaient jusqu’à présent imposables avant même qu’elles soient « converties » en monnaies fiat. Or, du fait de l’intensité des transactions, de la volatilité du marché et des risques élevés de vol ou perte liés aux caractéristiques spécifiques des actifs numériques, cela pouvait engendrer un mur fiscal pour les contribuables, la charge fiscale pouvant alors être supérieure à la valeur liquidative du portefeuille d’actifs numériques au jour où l’impôt était dû.
 
Ceci étant dit, ce nouveau dispositif ne fait que poser les fondations d’un régime fiscal qui reste à parfaire et à compléter pour ne pas entraver le développement de l’écosystème et des usages anticipés à court, moyen et long terme.
 

Le dispositif issu de la Loi de finances mériterait d’être amélioré sur plusieurs points :

 
1) le calcul de la plue-value imposable reste complexe et nécessite que le contribuable soit parfaitement informé de ses obligations fiscales au jour de la réalisation de chaque cession d’actifs numériques.
 
En effet le calcul des plus-values imposables exige :
 
  1. le calcul de la valeur liquidative du portefeuille global, au jour de chaque conversion en monnaie fiat ou de chaque consommation de biens ou services payés au moyen d’actifs numériques,
  2. le suivi des conversions de monnaies fiat en actifs numériques ( » cash in « ) et ce depuis la première conversion ; et
  3. le suivi des conversions d’actifs numériques en monnaie fiat ou en acquisition de biens ou services ( » cash out « ).
Cette méthode de calcul est totalement inadaptée aux usages des actifs numériques et pourrait gravement nuire au développement de l’écosystème Blockchain en France.
 
En effet, la disruption liée à l’émergence des actifs numériques réside notamment dans la possibilité offerte aux opérateurs de créer des mécanismes de  » micro-rewards  » permettant aux utilisateurs de ne payer que pour la mesure exacte de l’utilisation qu’ils font de la valeur ainsi créée, ou encore de  » micro-transactions  » entre les objets connectés des utilisateurs.
 
Dans ces cas d’usages, dans lesquels les transactions sont assimilées soit à des cash in, soit à des cash out, on voit mal comment en pratique, pour chaque micro-transaction et à l’instant  » T  » où chaque transaction est réalisée, il serait possible de déterminer à la fois la valeur en euros du bien ou service reçu ou consommé et la valeur liquidative de la totalité des actifs numériques détenus.
 
l’AFGC, avec d’autres associations de place, propose un calcul de la plue-value fondé sur l’imputation directe et immédiate du montant des investissements passés (ou cash in) sur les plus-values imposables de l’année.
 
Plus concrètement, ce mode de calcul aboutirait à une exonération des plus-values à hauteur des montants investis et l’absence de prise en compte (et de recherche !) de la valeur liquidative globale du portefeuille au moment de chaque transaction taxable.
 
L’abattement annuel global de 305 euros mis en place n’est pas non plus satisfaisant car bien trop faible au regard du développement des cas d’usages précités. Cet abattement étant apprécié en incluant les retraits en monnaies fiat, il entraine mécaniquement un dépassement de seuil (et donc l’obligation de calculer une plue-value sur chaque micro-transaction) lorsqu’un retrait en monnaie fiat intervient au cours de l’année. Seule une augmentation significative de ce seuil annuel, accompagnée d’une micro-franchise par transaction pourrait permettre le développement de ces cas d’usage.
 
A ce sujet, les sénateurs ont d’ailleurs souligné dans leur rapport sur le projet de Loi de finance qu’
il aurait été plus cohérent de limiter la franchise aux seuls échanges d’actifs numériques contre des biens ou services mais en retenant un montant plus élevé, voire d’assortir cette franchise annuelle d’une exonération des  » petits achats « .
l’AFGC demande donc une évaluation des cas d’usages observés pendant l’année 2019 pour ajuster le seuil annuel et mettre en place un seuil par transaction de façon rétroactive à l’occasion de la prochaine Loi de finances.
 
2) Le nouveau régime d’imposition est objectivement injuste, puisqu’il ne permet aucune imputation des moins-values constatées en année N sur les plus-values constatées au titre d’une année ultérieure, alors qu’une telle imputation est généralement admise pour les autres catégories de plus-values (de cessions de titres par exemple).
 
3) Le régime d’imposition ne couvre pas assez le risque de non-liquidité des investisseurs. En effet, le fait générateur de l’imposition est la cession à titre onéreux d’actifs numériques (entendue au sens large, à savoir cession, apport, échange, etc.) lorsque le cédant reçoit, en contrepartie de la cession, des monnaies fiat ou un bien ou service, peu importe le support de réception des dites monnaies fiat (ie. compte bancaire traditionnel ou plateforme d’échange).
 
Or, lorsque le cédant reçoit des actifs numériques en monnaies fiat sur les plateformes d’échanges, il doit mettre en œuvre une procédure de rapatriement de ces monnaies fiat vers son compte bancaire traditionnel, afin d’être en mesure d’en disposer pleinement, notamment pour s’acquitter de sa dette auprès du Trésor Public.
 
Toutefois, cette procédure est souvent longue et aventureuse, tant du fait des plateformes d’échanges qui imposent des délais et des plafonds aux rapatriements et qui sont exposées à un risque important de piratage parfois sans garantir les dépôts de leurs clients, que de celui des banques traditionnelles qui bloquent les virements en provenance de plateformes d’échanges, voire clôturent les comptes sur lesquels ils constatent des mouvements trop importants en provenance de ces plateformes.
 
Pour couvrir ce risque, la solution aurait été, comme l’a proposé l’AFGC, d’imposer les plus-values non pas au moment de la  » conversion  » de l’actif numérique cédé en monnaies fiat, mais au moment du rapatriement des monnaies fiat sur un compte bancaire traditionnel.
 
4) Enfin, ce régime ne définit pas de façon suffisamment claire la notion d’opérations occasionnelles, seules éligibles au nouveau régime fiscal. Pour rappel, les opérations habituelles restent imposées selon le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
 
Or, du fait de ce flou sur la définition d’opération occasionnelle vs. habituelle et du régime fiscal complexe des BIC, les investisseurs pourraient ne pas être incités à déclarer spontanément leurs gains, quand bien-même ils pourraient en réalité bénéficier du nouveau régime, par peur d’une requalification en BIC aux conséquences désastreuses.
 

Le nouveau régime fiscal doit également être complété sur plusieurs autres points dont, principalement :

 

  1. La possibilité d’apporter des actifs numériques à une société en report d’imposition avec possibilité d’imputer cette plus-value en report sur une éventuelle moins-value de cession des titres de la société bénéficiaire des apports.
  2. L’alignement du régime des attributions gratuites de tokens sur celui des attributions gratuites d’actions.
  3. L’alignement de la fiscalité des professionnels et des personnes morales sur celle des particuliers concernant la neutralisation des échanges entre actifs numériques.
  4. La clarification du régime TVA des ICO et de l’échange de tokens sur le second marché (la transposition de la directive  » bons  » ne répondant à ce stade que partiellement aux nombreuses questions soulevées par les transactions sur les actifs numériques).
Les acteurs de l’écosystème ont appelé de leurs vœux ces améliorations, lesquelles ont été relayées auprès des pouvoirs publics par l’AFGC. De nombreux amendements ont même été déposés en ce sens par des députés. Ils ont toutefois été rejetés sans réel débat, certainement en raison d’un temps de concertation trop restreint avec des techniciens de Bercy fin 2018.
 
Ces discussions pourront en revanche s’inscrire dans un agenda plus serein au cours de l’année 2019, afin d’aboutir à des dispositions compatibles avec les contraintes de la Direction de la Législation Fiscale et qui pourront être inclues dans la Loi de finances pour 2020, avec une application idéalement rétroactive au 1er janvier 2019.
 
En tout état de cause, plus le développement de l’écosystème  » blockchain  » et l’usage des actifs numériques sera significatif pendant l’année 2019, plus la pression sera forte sur les pouvoirs publics pour améliorer et compléter le dispositif existant, lequel n’est en l’état pas à la hauteur des ambitions de la France en matière d’actifs numériques.
 
Logo AFGC fiscalité crypto-actifs
 

Association Française pour la Gestion des Cybermonnaies

L’Association Française pour la Gestion des Cybermonnaies a été crée en 2017 dans le but de promouvoir l’investissement durable dans les cybermonnaies en France.
 
Nos membres sont des professionnels de la finance, du droit, de l’audit et de la blockchain et partagent l’envie de créer un cadre réglementaire et fiscal stable pour que la France attire et garde les talents et les projets liés aux crypto-actifs.
 
Jean-Benoît Gambet, Président de l’AFGC
 

Notes

  1. Le taux de la CEHR est : - de 3 % pour les revenus annuels compris entre 250 000 € et 500 000 € (contribuables célibataires) ou entre 500 000 et 1 000 000 € (contribuables pacsés ou mariés), et - de 4 % sur la fraction des revenues excédant 500 000 € (célibataires) ou 1 000 000 € (couples).
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Michaël
Michaël

Passionné par Bitcoin et les cryptomonnaies depuis 2017, je partage mes connaissances grâce à des articles, tutoriels et vidéos. J'ai créé ce blog pour aider à démocratiser les cryptomonnaies dans la sphère francophone.

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